Le keynésianisme est aujourd’hui de nouveau vraiment réussissant en économie. Si on compare la croissance de la Chine guidée par les principes réformateurs de Deng Xiaoping et l’Occident néolibéral, la différence semble énorme. La combinaison d’une liberté d’entreprendre et d’un Etat stratège qui fixe une ligne de conduite semble un aspect majeur de ce point de vue. On peut ainsi considérer que ce mouvement est très révélateur d’une tendance importante.
Les réformistes chinois ont adopté depuis 40 ans une stratégie brillante. Celle de permettre un partenariat entre grandes entreprises et Etat pour un objectif global de développement. Le fait que ce pays soit une dictature a permis paradoxalement d’élaborer des stratégies à long terme. L’investissement massif dans l’éducation a permis à terme de créer une classe moyenne, ce qui a permis au pays de réorienter progressivement son modèle économique vers son marché intérieur. Au fond ce pays est monté économiquement comme l’avait fait l’Allemagne à la fin du XIXème siècle : il s’est d’abord transformé en usine du monde en fabriquant des pays bas de gamme. Puis il s’est progressivement réorienté vers du haut de gamme, a créé des champions industriels (les BATX) capables de rivaliser avec les plus grandes entreprises occidentales… Aujourd’hui la Chine participe et veut même prendre de l’avance dans le domaine de l’innovation, en produisant des technologies novatrices comme la 5G, en investissant massivement dans les métaux rares. Par exemple la bataille de la donnée et de l’intelligence artificielle peut être gagnée par les Chinois : l’entreprise Huawei couvre aujourd’hui 90% du marché africain, ce qui lui permet de collecter un maximum de données. Au fond, selon la mentalité réformatrice, les Chinois ont la démarche de penser l’avenir et de construire sur la durée, une stratégie qui nous manque cruellement en Occident, encore plus en Europe. Mais cette stratégie est aujourd’hui gagnante : la démographie de la Chine et son avance dans les technologies en font désormais un adversaire redoutable pour les Occidentaux : par exemple le crypto yuan peut damer le pion au dollar et à l’euro. Nous nous situons totalement dans la ligne de Peyrefitte, qui craignait cette combinaison de démographie et de technologie. Aujourd’hui les pièces sont en place.
Il est caractéristique que la ligne keynésienne a triomphé ici. Si le keynésianisme a abouti en partie aux 30 glorieuses en Occident, effaçant en partie le cycle des crises qu’on observait depuis l’apparition du capitalisme industriel (comme le décrit Bernard Steigler, là où la science est un moteur direct du progrès), il semble avoir trouvé sa vitalité en Chine. Au fond le géant asiatique a évité les crises de 2008, a poursuivi sa montée, possède aujourd’hui 100 milliards de dollars d’excédents par rapport aux Etats Unis, est devenu depuis la crise du COVID le premier partenaire commercial de l’Union Européenne… Il semble que cette stratégie, qui investit massivement dans l’éducation, lance des politiques publiques ambitieuses dans les infrastructures, permet une liberté relative d’entreprendre mais qui se situe dans une stratégie de long terme de l’Etat, est très proche de la ligne du penseur anglais. Il semble malheureux que l’Occident n’ait pas su réagir à la perte progressive de production de richesses, compensé par sa consommation, mais également par une dette de plus en plus endémique… Concernant la dette occidentale, son remboursement lié à la crise du COVID nous a été vendue par les politiciens comme pouvant être financé par la croissance. Cependant aujourd’hui celle-ci se trouve en Asie et non en Occident, qui n’est plus le premier moteur économique du monde. Nous avons également perdu tout sens de la prospective : quand Amazon détruit des milliers de petits commerce, les Chinois ont pensé une 5G qui créerait plus de 20 millions d’emploi. La technologie au service d’externalités positives, là encore une stratégie bien mieux pensée que celle de l’Occident.
Il semble nécessaire de nous inspirer de la réussite chinoise, et plus largement de certains principes keynésiens, pour renouer avec une réussite durable et inclusive. Quand Joe Biden crée un plan d’investissement dans les infrastructures équivalent au PIB italien, cela va dans la bonne direction. L’Europe semble en retard de ce point de vue : pas de véritable politique publique ambitieuse, un délaissement dramatique de l’éducation qui va obérer l’avenir, pas de vision à long terme… Si le plan d’investissement 2030 présenté par Emmanuel Macron semble aller dans la bonne direction, en investissant dans des énergies vertes, qui sont entre autres des secteurs d’avenir, cela peut paraître donner un goût de trop peu. Si l’innovation technologique va probablement s’accélérer dans les prochaines années, il va falloir créer plus de matière grise pour pouvoir mener la bataille. Or nous manquons de stratégie globale, au prix d’une précarisation de la classe moyenne, qui a entre autre créé le mouvement des gilets jaunes.
Les tendances économiques actuelles sont inquiétantes. S’il est encore possible de renverser la tendance, il faudra à mon avis des changement radicaux sur la stratégie à adopter. Mais déjà avoir une stratégie constructive serait une vraie avancée. Nous n’y sommes pas.