Les dernières élections montrent que les idées réformistes vont très mal en France. Si les idées keynésiennes sont utilisées dans le plan d’investissement 2030 d’Emmanuel Macron, la mode n’est pas à ce vieux courant idéologique. Pourtant celui-ci peut apporter beaucoup de choses. Cette tradition qui est lié à de nombreux domaines, a été représentée autant par Clémenceau que Keynes, Hegel ou Al Afghani, dans des domaines aussi variés que la politique, l’économie, la philosophie ou la théologie.
Tout d’abord il donne une importance majeure à l’éducation. C’est ce qui a permis à la Chine en bonne partie de sortir 800 millions de personnes de la pauvreté en 40 ans. C’est la raison pour laquelle on peut dire que l’Occident est en train de se créer un boulet au pieds considérable. Le manque de plus en plus criant de professeurs, la suppression des mathématiques dans plusieurs secteurs du baccalauréat… sont des moyens de créer un avenir « peu désirable » qui peut mener à un vrai déclassement. L’éducation est pourtant mise au cœur des politiques sociales dès le XIXème siècle : les intellectuels faisant des cours du soir aux ouvriers ont créé les cadres de la Commune par exemple. Ce travail de terrain et dans l’ombre a eu de vrais résultats qui ont conduit à une moyennisation des classes qui devrait être mis au cœur des politiques publiques. Malheureusement c’est loin d’être le cas de nos politiciens.
Le fait de penser à long terme est une approche réformiste qui a son sens aussi. Hegel pensait souvent à long terme : dans sa dialectique du Maître et de l’Esclave, il considérait que les esclaves devenaient les vrais maîtres sur la durée grâce à leurs compétences. Il avait la même approche dans son idée de la Raison dans l’histoire : la raison triomphe à long terme. Cette approche est bien souvent oubliée aujourd’hui. Pourtant Keynes prônait l’investissement à long terme avec sa théorie du multiplicateur d’investissement : un investissement dans des secteurs comme les infrastructures, ou l’éducation conduit à un « retour » souvent plus rentable que ce qu’il aura coûté. Cette approche a été utilisée par Roosevelt dans les années 1930. Il est aujourd’hui utilisé par les Chinois qui investissent tous azimuts dans les infrastructures, par exemple pour désenclaver l’Ouest du pays.
Cette tradition réformatrice possède une vision pessimiste sur la nature humaine, plus que la gauche révolutionnaire par exemple. Pour cette dernière on peut aboutir scientifiquement à la suppression des classes sur la durée, comme le pensait Marx dans son manifeste du parti communiste. Or les réformistes pensent que, vu la mauvaiseté de la nature humaine, il est plus réaliste de chercher à faire progressivement avancer les choses, et de remplir des objectifs de croissance et d’impact social sur la durée. La gauche révolutionnaire, et son approche « scientifique » (par exemple contestée par Camus dans l’homme révolté), a été très néfaste au progrès scientifique, comme l’explique Monod dans le hasard et la nécessité. Ainsi le domaine de la biologie a été très affecté par les attaques virulentes de Lénine contre les scientifiques de son temps. Par extension, la tradition réformatrice ne veut pas que le monde de la pensée dépasse ses prérogatives, contrairement à ce que Marx avait fait en créant une idée de matérialisme dialectique, détournant la dialectique hégélienne dans un substrat « d’exactitude » parfaitement contraire à cette dernière, qui au contraire croyait à des avancées plus humbles dans un chaos généralisé.
Ainsi, selon moi, le réformisme tient beaucoup mieux compte de la nature humaine que la gauche révolutionnaire. Si on prend l’exemple de la lutte contre la pauvreté, la Chine réformiste a été autrement plus efficace que l’Union Soviétique. Certains puristes comme Badiou diront, comme l’avait fait bien avant lui Marx, que la vraie dictature du prolétariat était la Commune. Un autre argument est de dire que Lénine avait pris le pouvoir dans une Russie féodale qui n’avait pas vraiment connu le capitalisme, et qu’il n’avait dont pas respecté les préceptes de Marx. Selon ce dernier en effet « le capitalisme combat la médiocrité et incite au travail ». Il avait plus d’estime pour ce modèle économique qu’on le dit parfois, même s’il souhaitait le dépasser. Il est vrai que Lénine a oublié le fait que Marx prédisait la chute en partie par implosion du capitalisme, obligé de s’étendre toujours plus pour survivre, ce qui lui avait permis à l’époque de vaincre les empires de son temps (Chine…).
Le réformisme a également la mentalité de savoir penser stratégiquement. Contrairement aux néo libéraux et aux marxistes qui font de l’économie une science, il en fait une pensée. Cela se retrouve chez Keynes, un excellent mathématicien par ailleurs (il avait écrit un traité de probabilités qui est une référence). Il rapprochait beaucoup l’économie de la philosophie, et se concentrait dans sa démarche sur la pensée économique et sur la bourse. Cette démarche est à mon avis très pertinente et trop peu reprise : des matières comme la philosophie ne sont pas vouées à être déconnectées, ou marginalisées, et doivent être liées à de nombreux autres domaines.
Enfin cette approche cherche a réconcilier croissance économique et impact social. En effet il ne néglige par les notions d’argent et de profit. Selon Kant en effet « le premier moteur de la puissance n’est pas le pouvoir politique et la force militaire mais l’argent ». cela se retrouve par exemple dans l’ascension de la bourgeoisie par rapport à l’aristocratie lié à la montée de l’économie mobilière ; cela a abouti au final à la prise de pouvoir de celle-ci à la Révolution française. L’argent est donc un facteur de puissance essentiel pour pouvoir peser. Keynes, qui a d’ailleurs fait fortune en bourse grâce à ses connaissances en statistiques et probabilités, en était bien conscient. Mais cela n’empêche pas de prendre en compte l’impact social. En effet on peut considérer que l’investissement massif dans l’éducation, le fait de se concentrer sur une classe moyenne prospère, d’apaiser la finance en séparant par exemple les banques de dépôt et d’investissement… sont utiles à long terme. Marx considérait les réformistes comme son pire ennemi car ils considérait qu’ils faisaient perdre du temps à la mise en place de la dictature du prolétariat. Est-ce que ca n’était pas un compliment déguisé sur l’efficacité de ce modèle ?
Ces arguments me font dire qu’à mon avis ces idées gagneraient à être plus utilisées. Or elles sont bien souvent oubliées. La culture de la consommation facile, la médiocrisation du niveau intellectuel qu’on doit dans la musique, les séries, etc… peut sembler « cool », mais conduit au final à plus de précarité et d’inégalités. Les idées réformistes peuvent apporter de ce point de vue une approche exigeante et stimulante qui peut être extrêmement utile pour combattre la pauvreté et la précarité sous bien des formes, mais également contribuer à la croissance économique à long terme. Au fond le plus inquiétant, c’est que ce sont des pays totalitaires comme la Chine qui applique ces principes. Nos politiciens devraient plus mettre en œuvre ces principes, mais cela serait (beaucoup) trop s’illusionner.